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Entropie générale
30 juin 2013

"Wilson", Daniel Clowes, Éd Cornélius

 

 

Clowes

"Wilson" de Daniel Clowes, éd. Cornélius (2010)

 

 

Une page : une séquence. Au début, il semble même qu'il y ait une page, une histoire. Mais, très vite, si chaque page peut effectivement fonctionner de façon autonome, il apparaît que toutes sont liées et dessine une chronologie : celle de la seconde moitié de vie d'un personnage pathétique : Wilson. Cette structure a l'avantage de permettre de superposer un rythme régulier à un autre irrégulier. Régulier, du fait même de l'unité de sens de la page, irrégulier puisque le temps entre deux séquences successives n'est jamais le même (de quelques instants à plusieurs années). Les pages elles-mêmes possèdent une rythmique interne régulière (gaufrier de six cases carrées) pouvant subir quelques variations (allongement et raccourcissement de certaines cases, insertion d'une ou deux supplémentaires). De plus, un autre élément rythmique traverse l'ensemble du récit : différents traitements graphiques de la page s'y disséminent. Cette « polyrythmie » anime la narration d'une vie banale et sans véritable relief, une vie éteinte par le désir ici maladif d'être aimé, la vie de Wilson.

 

Wilson, c'est presque le nom de n'importe qui, un nom ordinaire se substituant à peine à l'anonymat, la vie de Wilson est celle d'un anonyme à peine nommé, une vie de rien malgré les événements et les temps forts qui la ponctuent, c'est-à-dire, en articulent les moments et en construisent le sens. Cependant, ici, tout ce qui se construit s'effondre, tout ce que tente Wilson échoue, il n'est jamais maître du sens, il en est même absent, mais il veut croire – et faire croire - qu'il lui appartient encore.

 

Wilson prend conscience de son inexistence à la mort de son père. Avant celle-ci, il est encore un fils. Ensuite, il n'est plus rien. Aussi, il part à la recherche de son ex-femme pour renouer avec son statut de mari – à tout le moins d'amant – et peut être même obtenir celui de père : il lui faut retrouver un statut, qui lui donnerait une place et un rôle, et lui permettrait de reprendre consistance – à défaut d'existence. Car Wilson est une ombre, quelqu'un de presque vivant en attendant d'être tout à fait mort. Pourtant, ce qui se prononce, dans ce récit, n'est pas tant son nom que celui du monde qui le situe et le détermine. Comme souvent dans les albums de Daniel Clowes, c'est un portrait en creux de la société américaine qui se dessine, société dont la forme et les attendus pèsent sans poids – mais d'autant plus lourdement - sur les individus, leurs paroles et leurs actes. Aucun des personnages du récit n'y échappe, chacun y est acté plutôt qu'il n'est acteur. Ce qui se joue encore dans ce récit, c'est la possibilité – ou l'impossibilité – du sens. De fait, tous les discours de Wilson sont prescrits, voire convenus – même si souvent ils sont intellectualisés et peuvent parfois prendre une forme critique. Il n'est pas rare non plus, que, partant d'une affirmation, Wilson en arrive à son contraire. Ainsi, soit on a affaire à un sens déjà là qui n'appartient en rien au sujet – peut-il donc dès lors faire sens ? – soit celui-ci s'annule au cours de son développement. Quoi qu'il en soit, ils apparaissent tous nuls et non avenus, ils ne rendent pas compte d'une expérience, ni n'en font la carte ou en parcourt les lignes de force, mais l'enferme, la contienne à l'intérieur d'un territoire contrôlable et maîtrisable  - en apparence du moins. C'est sans doute rassurant, mais induit aussi de l'angoisse dans la mesure où ce qui est dit est en inadéquation totale avec l'épreuve des faits. Dé-collage du discours et de ce dont il doit rendre compte permettant l'illusion d'une maîtrise, mais, en retour, neutralisation du sujet : toute l'activité de Wilson se retourne en une passivité quasi infini n'autorisant aucune prise sur rien. Ce n'est qu'à la fin du récit que le sens (de la vie) survient, en une révélation aussi soudaine que tardive, mais qui ne peut s'énoncer tant son évidence le retire à la langue. Cependant, à l'intérieur, tout devient clair et lumineux, même si dehors tout reste sombre et hostile.

 

 

 

                                                                                  al-wat

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